AIBD: Les contrôleurs aériens lèvent le mot de grève mais à quel prix…

AIBD: Les contrôleurs aériens lèvent le mot de grève mais à quel prix…

Elle aura duré moins de 24 heures, la grève des contrôleurs aériens du Sénégal qui a ébranlé, depuis la nuit du jeudi 14 Décembre, l’aéroport international Blaise Diagne. Après moult discussions avec le premier ministre , le SACS, le syndicat des aiguilleurs du ciel du Sénégal, dans une démarche responsable et consensuel a décidé de lever son mot de grève dans l’intérêt supérieur de la nation.

L’annonce a été faite à AIBD, vendredi peu avant 21h30min , au cours d’un point de presse conjoint de Mame Alioune Sene, président de l’Association Professionnelle des Contrôleurs de la Circulation au Sénégal et François Paul Gomis, Secrétaire général du syndicat des aiguilleurs du ciel du Sénégal.

En attendant les résolutions promises par le premier ministre en concertation avec la direction de l’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar), leur employeur, les contrôleurs aériens du Sénégal continueront d’endurer pour plusieurs mois voire quelques années encore, les conditions de travail qui mettent de plus en plus en mal la sécurité aérienne dans le ciel sénégalais.

Moyens de transport inadéquats

« Une semaine après l’inauguration de AIBD, je me retrouve déjà à près de 40000 FCFA de frais de péage. A cette allure, il faudra budgétiser pas moins de 145 000 FCFA juste pour le péage » raconte le contrôleur BOUN  en route pour l’aéroport international Blaise Diagne qui se situe à 47 km de Dakar. « S’il faut inclure le carburant, je vais me retrouver à plus de 200 000 FCFA de transports d’ici la fin du mois » explique-t-il à bord de sa modeste voiture de marque Toyota Corolla. « Comment être serein au boulot quand on subit tout ça, c’est incroyable ! » lâche-t-il d’un air désemparé, fatigué et époumoné après avoir parcouru plus de quarante (40) kilomètres  , jonchés  d’embouteillage , qui séparent Dakar, la capitale de l’AIBD.

S’il faut inclure le carburant, je vais me retrouver à plus de 200 000 FCFA de transports d’ici la fin du mois
Boun aura cependant l’obligation d’assurer   de façon continue et sans erreur, son quart de service de 09 heures de temps qui courent jusqu’à 05h00 GMT.

Entre stress permanent et l’idée de refaire le même parcours du combattant le matin après un épuisant quart de nuit, il y a fortement à craindre des moments de déconcentration qui peuvent s’avérer fatales dans ce métier aussi sensible qu’est le contrôle aérien.

Cette situation est également décriée par son collègue Mame Alioune, qui déplore le caractère improductif de la navette mise sur pied pour le ramassage du personnel à Dakar « Vous ne pouvez pas mettre des contrôleurs dans un véhicule qui fait le tour de Dakar, car nous arrivons fatigués à la tour de contrôle. En outre, nous ne disposons encore de ni de local de repos ni de restaurant » a-t-il souligné dans les colonnes de Jeune Afrique.

Effectifs insuffisants

Le Sénégal dispose aujourd’hui de moins de 70 aiguilleurs du ciel opérationnels qui gèrent un espace aérien de près de 200 000 km2 dans sa partie continental et un vaste corridor aérien au-dessus de l’océan atlantique qui s’étend jusqu’aux iles espagnoles des Canaries.

Dans un espace aérien assez dense comme celui du Sénégal qui enregistre chaque jour près de 200 mouvements y compris les survols, ce nombre est largement insuffisant s’il faut prendre en compte le nombre réglementaire de contrôleurs requis par quart de service.

Il  faut 102 contrôleurs au Sénégal afin de pouvoir assurer correctement la sécurité de la navigation de la zone, contre 66 à ce moment

« Selon les ratios de l’ASECNA, il faut 102 contrôleurs au Sénégal afin de pouvoir assurer correctement la sécurité de la navigation de la zone, contre 66 à ce moment » explique Mame Alioune Sene.

La situation semble loin de s’améliorer car apprend d’un responsable de l’ASECNA, « les recrutements et la formation des contrôleurs aériens ont été gelés en 2017 du fait de quelques restrictions budgétaires ».

Fatiguée généralisée 

A côté du mot « avion », « fatigue » et « épuisement » semblent être les expressions les plus communes chez les contrôleurs aériens rencontrés, hier soir, à l’aéroport Blaise Diagne.

Voilà bientôt plus d’une dizaine d’années que les aiguilleurs du ciel sénégalais travaillent en sous-effectif technique. Le trafic aérien a cependant connu une hausse sur la même période.

Au fil du temps, chaque contrôleur y va de sa touche pour se maintenir dans un état opérationnel. « De nuit, je suis contraint de prendre des fortes doses de café pour rester éveillé. Ici à AIBD on ne dispose pas encore de salle de repos. C’est vraiment éprouvant ! » raconte Boun, les yeux ternes, le visage éreintant et le regard hébété.

Depuis 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), rattaché à l’Organisation mondiale de la santé, a ajouté le travail nuit à la liste des agents « probablement cancérogènes ». Au-delà d’affecter en  première conséquence  la vie sociale et la vie familiale, le CIRC  souligne  les  impacts sanitaires en cascade, en raison de perturbations des rythmes biologiques.

L’urgence à agir

C’est exactement ce que prône Abdoulaye Diouf, le Représentant de l’ASECNA au Sénégal. Selon lui, il faudrait éviter de fâcher ces hommes de l’ombre qui assurent avec professionnalisme et dévouement la sécurité des passagers au quotidien.

« Le contrôle aérien est un métier difficile, contraignant. Un métier à risque. On ne peut pas se permettre d’être dans une situation de conflit permanent pour des gens qui sont chargés d’assurer la sécurité des centaines de personnes à bord » a tenu à préciser Abdoulaye Diouf, joint par Seneweb.

L’approche est la même du côté du bureau du SACS qui a réitéré, son engagement au aux autorités sénégalaises à rester ouvert à toutes les négociations. Celles-ci se doivent « cependant d’être pressantes au vue de la situation qui perdure » ont martelé les représentants des contrôleurs au premier ministre Mahammed Boun Dionne.

Selon eux « accompagner l’Etat du Sénégal dans la consolidation de l’AIBD comme principal hub dans la sous-région reste notre challenge majeur » mais ce défi « ne peut se faire que dans les conditions de travail adéquates ».
Au regard de ce qui précède, on peut mieux comprendre  le fondement légitime du mouvement d’humeur des contrôleurs aériens du Sénégal. Au final , ceux-ci font plutôt preuve d’un sens élevé de sacrifice et de patriotisme qui sont à féliciter.

Leur attitude d’ouverture à la négociation et leurs capacités de résilience dans des conditions de travail contraignantes s’inscrivent donc en faux contre les récriminations injustifiées portées par une certaine presse locale qui ,  le temps d’une journée ,  les a acculés, accablés, soumis à la vindicte populaire au point de les qualifier « de pas plus importants que les autres maillons de la chaîne du système des transports aériens sénégalais ».
On parle du troisième métier le plus stressant au monde !

NewsAero

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