DOSSIER – Chemin de fer, Pourquoi ça ne marche pas au Sénégal

DOSSIER – Chemin de fer, Pourquoi ça ne marche pas au Sénégal

Au lendemain des indépendances, le Sénégal était parti pour disposer du réseau ferroviaire le plus dense d’Afrique noire. Un réseau qui, avec ses trois premières gares primitives, Dakar, Rufisque et Saint-Louis construites dans les années 1905 avait fini d’atteindre, avant la fin de la colonisation, sa vitesse de croisière avec un maillage presque complet du territoire national et l’exploitation de la ligne ferroviaire internationale sur le corridor Dakar-Bamako.

Aujourd’hui, 56 ans après l’indépendance, ce chemin de fer, en bute à de réels problèmes de survie, est encore en train de se chercher une voie. Une situation qui ne saurait s’expliquer que par une absence totale de vision des autorités étatiques quant à la définition d’une bonne politique ferroviaire. Aussi se pose la question de savoir si la nouvelle dynamique enclenchée par l’Etat pourra redorer le blason du rail sénégalais.

APOGEE ET DECLIN DU TRAFIC FERROVIAIRE SENEGALAIS. :Que reste-t-il du premier chemin de fer de l’Afrique Noir ? 

Au lendemain de son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal était partie pour disposer d’un des réseaux ferroviaires les plus denses en Afrique. Outre l’axe ferroviaire international qui le reliait à la république du Mali, quatre axes desservaient l’intérieur du pays. La première de ces axes est le tronçon de Dakar-Thiès-Saint-Louis qui date de 1885 et qui, d’une longueur de 263 kilomètres, est la première ligne ferroviaire construite en Afrique noire française. Son exploitation sera d’un grand apport dans l’urbanisation et le développement économique à l’intérieur du pays. Des villes ont en effet commencé à émerger le long de la ligne ferroviaire et principalement autour des gares dites primitives de Saint-Louis et Tivaouane construites en 1905 et celles de Kelle et Louga en 1908. D’autres agglomérations naîtront par la suite aux différents points d’arrêt du train entraînant la création d’autres gares. Des villes et faubourgs dont la principale activité génératrice de revenus étaient intimement liés au trafic ferroviaire. En effet, outre le trafic voyageur, les trains de marchandises permettaient de transporter les produits de l’intérieur vers les centres urbains développant ainsi le commerce intérieur.

Le bassin arachidier ne sera pas en reste. Mettant à profit les installations ferroviaires de l’axe Dakar-Bamako, l’administration coloniale mit en circulation des trains voyageurs et de marchandises sur le tronçon avec l’installation de gares à Diourbel, Kaolack, Tambacounda et Kidira. Plus tard la ligne Louga-Dahra-Linguère vit le jour. Maillage était alors presque complet. Toutes les régions, hormis la Casamance et le Fouta, étaient desservies et une activité commerciale des plus intenses se développait le long de ce réseau en pleine effervescence. Outre les emplois directs, l’entreprise ferroviaire était génératrice d’une masse importante d’emplois indirects. En atteste tout le commerce qui se développait autour des différentes gares ferroviaires. Le cœur économique de toutes les villes installées le long de la voie ferrée battait au rythme des trains voyageurs et de marchandises. Le chemin de fer avait engagé son plein envol avec une extension de son réseau jusque dans la cité religieuse de Touba. Et dans cet envol, la région de Louga était la mieux servie en matière d’infrastructures pour être desservies par deux axes à savoir Dakar-Louga-Saint-Louis et Louga-Dahra-Linguère.
Cependant, et ironie du sort, c’est dans cette région que le mal a commencé. Pour des raisons d’ordre économique, la direction générale de la régie des chemins de fer décida, en 1978, de l’arrêt du trafic sur l’axe Louga-Dahra-Linguère. La suppression de cet axe surviendra deux ans plus tard. Une suppression suivie de l’enlèvement de la voie ferrée. Les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir dans toute la région naturelle du Ferlo. Des cités comme Coky, Warkhokh, Moukhmoukh, entre autres, ayant atteint un certain rythme de prospérité ont alors commencé à sombrer progressivement dans l’enclavement, la pauvreté et l’anonymat. Et la gangrène continua ses ravages avec la suppression de l’axe Thiès-Louga-Saint-Louis. Il ne restait alors du réseau ferroviaire que l’axe Dakar-Thiès-Kidira qui ne dut sa survie qu’au train voyageur Express qui relève du corridor Dakar-Bamako. Mais c’était sans compter avec la volonté des institutions financières internationales de pousser les autorités sénégalaises et maliennes à la privatisation de ce dit secteur. En effet, face aux difficultés réelles de gestion et d’investissements et leurs corolaires de dégradation très avancée des infrastructures et du matériel roulant, les deux Etat se virent dans l’obligation de céder à la pression des bailleurs. On était en 2003. Hormis le tronçon Dakar-Thiès, exploité par le Petit Train de Banlieue, ce qui restait du réseau ferroviaire sénégalais venait de faire l’objet d’une concession pour une durée de 25 ans. La Société nationale des chemins de fer du Sénégal avait cédé la place à une binationale, Transrail SA, avec une direction générale basée en terre malienne.
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DU DAKAR-NIGER A LA SOCIETE TRANSRAIL SA :72 ans après son premier train, l’Express encore à la recherche de sa voie Les Etats sénégalais et maliens ont mis fin à la concession du corridor Dakar-Bamako qu’ils avaient signée avec le groupe Advens. Une décision qui marque le début de l’entrée en vigueur du nouveau schéma institutionnel défini par les deux Etats pour assurer la relance de ladite ligne de chemin de fer. Laquelle ligne est en bute à des difficultés de vétusté de ses installations fixes et de son matériel roulant, couvrant un parcours de 1 287 kilomètres allant de Dakar à Bamako. Ce corridor ferroviaire est ce qui reste du projet de construction de la ligne de chemin de fer initié par l’administration coloniale qui ambitionnait de relier le port de Dakar au fleuve Niger afin de faciliter l’acheminement des matières premières vers la métropole. La mise en exécution de ce projet, qui a commencé en 1904 avec la construction du tronçon Kayes-Koulikoro au Mali, a été finalisée vingt ans après. La ligne de chemin de fer allant de Dakar au Sénégal à Koulikoro était ainsi fin prête en 1924. Ainsi, le trafic marchand et voyageur entre les deux localités par voie ferroviaire était assuré. Il en sera ainsi jusque dans les années 60 avec les indépendances et l’éclatement de la fédération du Mali. La Régie des chemins de fer de l’Afrique de l’Ouest sera alors scindée en deux compagnies bien distinctes : la Régie des chemins de fer du Sénégal (Rcfs) et celle du Mali (Rcfm). Une scission qui ne sera que courte durée puisque, deux ans plus tard, les deux Etats, conviendront à un accord sur une exploitation commune du corridor ferroviaire.

Cet accord dans la gestion du corridor sera de mise pendant un plus de quatre décennies. Et ce malgré les difficultés liées la forte concurrence du transport routier mais aussi et surtout au manque d’entretien et d’investissement sur la voie ferrée et sur le matériel roulant. Une situation à laquelle est venu s’ajouter l’endettement chronique des deux Etats maliens et sénégalais qui n’arrivaient plus à accéder aux crédits devant leur permettre de conserver le monopole sur le transport ferroviaire. Les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et l’Agence française de développement leur opposaient la condition d’une privatisation du secteur au prêt de 61,6 millions d’Euros qu’ils sollicitaient. L’idée préconisée par ces deux institutions financières reposait alors sur une gestion public-privée de cette ligne ferroviaire bi-nationale. Le choix n’était pas permis. La suggestion sonnait comme un ordre et il fallait s’y accommoder. Alors, le processus de privatisation fut enclenché sous forme d’un appel à manifestation d’intérêt pour une concession intégrale. On était en février 2001. Deux ans plus tard, plus précisément le 11 février 2003, le groupement Cac-Getma se voit attribuer la concession à titre provisoire pour une enveloppe financière de 15 milliards de francs Cfa. Une concession provisoire qui ne tardera pas à passer au définitif pour une durée de 25 ans à partir du mois de mars de la même année. La société de chemin de fer Transrail SA venait ainsi de naître avec 51 % des parts pour le concessionnaire. Le reste des actions est réparti entre les deux Etats du Sénégal et du Mali, les actionnaires privés de ces deux pays et les employés de la société.
Aujourd’hui, 13 ans après, la montagne de cette concession semble n’avoir accouché que d’une souris. Aucun des repreneurs qui se sont succédé à la tête de l’entreprise n’a pu trouver le remède à l’hémorragie qui vide Transrail de sa substance.
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LE SENEGAL ET LE MALI ROMPENT D’AVEC LE GROUPE ADVENS :Les partenaires sociaux jugent le délai de transition très court La résiliation de la convention de concession signée entre les Etats maliens et sénégalais relative à la gestion et de l’exploitation de l’axe ferroviaire Dakar-Bamoko est désormais effective. La société de chemin de fer Transrail a cédé la place à «Dakar-Bamako Ferroviaire», une nouvelle entreprise mise en place par les deux Etats pour gérer la phase de transition. Laquelle nouvelle entreprise est administrée par une équipe composée de deux cadres sénégalais et autant de cadres maliens. La direction générale est confiée à Joseph Gabriel Sambou du Sénégal, le Malien Djibril Nama Keïta assure la direction de l’administration générale et des équipements, son concitoyen Sory Sambou Diakité se voit confier la direction du transport et enfin le Sénégalais Amadou Siré Sall est nommé responsable de la direction des infrastructures. Il s’agit pour cette équipe dirigeante mise en place d’assurer une cogestion rigoureuse avec les cadres de l’entreprise pour atteindre dans les délais les objectifs de la transition. En effet, la phase transitoire est prévue pour une durée de moins d’un an, neuf mois exactement, le temps estimée nécessaire, par les deux Etats, pour réhabiliter l’entreprise et la rendre attrayante avant d’engager la mise en œuvre du nouveau schéma institutionnel.

Ce délai de neuf mois est jugé très court par Mambaye Tounkara, secrétaire général du Sutrail, syndicat majoritaire de la société Transrail. Pour ce dernier, au regard de la situation laissée par le concessionnaire sortant, le Groupe Advens, il faut plus d’une année pour pouvoir remettre la société sur les rails. «C’est une entreprise lourdement endettée et qui traine de sérieuses difficultés financières et d’exploitation qu’Abas Jaber a laissée en héritage à la nouvelle équipe chargée de gérer la phase transitoire», dit-il. Et le syndicaliste de lister les maux qui plombent la société. «Du point de vue des infrastructures, aujourd’hui nous sommes à deux machines d’exploitation utilisables mais pas fiables pour un parc qui était de plus de 18 machines. Des machines qui peuvent donc à tout moment s’arrêter. Pour les installations fixes, la voie connaît des points critiques avec un niveau de dégradation très avancé sur l’axe Tambacounda-Kidira. Sur cet axe, il arrive qu’un train fasse douze heures de temps», dit-il. Quid poursuit-il des difficultés liées au carburant et paiements des salaires du personnel. Toutes difficultés entre autres que, selon lui, le budget de 7,5 milliards de francs prévu pour la phase de relance ne pourra pas couvrir. Surtout quand on sait, dit-il, que sur ce budget, seulement 3 milliards de francs sont réservés pour la sécurisation des salaires. Soit six mois de salaire puisque la masse salariale de l’entreprise est de 500 millions de francs Cfa par mois.
Toutefois et malgré toutes ces difficultés dont la liste est loin d’être exhaustive, le syndicaliste se dit d’avis que la situation est certes alarmante mais remédiable si l’on y mette le temps et les moyens. Cependant, estime-t-il, il faut tout d’abord qu’il y ait un audit de la société pour que les responsabilités soient situées avant l’entrée en vigueur du nouveau schéma institutionnel. «Il va falloir nécessairement qu’on puisse avoir un aperçu sur le statut administratif et juridique de cette nouvelle entreprise même si les autorités nous ont rassurés que c’est une substitution d’employeur et que donc les acquis et le personnel seront préservés. C’est rassurant mais ce qu’il faut maintenant voir c’est la disposition juridique qui permet de savoir dans quelle entreprise nous sommes : une entreprise publique ou parapublique», ajoute M. Tounkara.
Walf Quotidien

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