A l’heure où le Président de la République a instruit à ses ministres concernés, lors du dernier conseil des ministres, de travailler à l’exploitation et la rentabilisation des infrastructures publiques de dernière génération qu’il a développées un peu partout sur le territoire national et particulièrement au niveau du pôle urbain de Diamniadio, il nous a paru nécessaire de partager notre expérience sur le sujet.
En effet la réussite des politiques de développement passe souvent par la réalisation d’infrastructures d’envergure structurant et qui nécessitent la mobilisation d’importantes ressources notamment financières.
Ces investissements nécessaires et très souvent urgents pour doter les populations de services adéquats représentent des efforts importants de dépenses, qui continuent de s’accroitre durant la phase exploitation –phase qui représente 75% du coût total de l’infrastructure suivant l’approche par coûts globaux (conception-réalisation-exploitation-maintenance-déconstruction). Ces dépenses nécessaires permettent d’assurer la pérennité des ouvrages qui font partie du «legs» aux générations futures, afin de leur permettre de s’occuper d’autres problématiques que leur époque révèlera.
D’où la nécessité de réfléchir à des modèles permettant l’atteinte de ces objectifs sans faire appel au budget du pouvoir public.
La pertinence du modèle d’exploitation
Il apparait nécessaire de développer une nouvelle approche dans l’exploitation et la gestion des infrastructures publiques en privilégiant la gestion déléguée plutôt que la gestion directe sous forme de régie directe ou autonome, autrement dit développer d’avantage la logique du « faire faire » plutôt que «faire ». Cette gestion déléguée peut revêtir plusieurs formes : régie intéressée ou affermage dans le cadre de la délégation de service public ou contrat de gérance matérialisé par un mandat de gestion liant le partenaire privé au pouvoir public , ce dernier gardant dans ce dernier cas la responsabilité du service.
En faisant le choix de la gestion déléguée, le pouvoir public recherche d’une part l’efficacité dans le service public délégué se matérialisant par l’atteinte des objectifs fixés et d’autre part l’efficience dans la réalisation de ces résultats. Et c’est très souvent dans cette dernière partie que la gestion directe présente des limites; en effet il est souvent constaté que les coûts relatifs à la production du service public réalisé par le pouvoir public lui-même sont nettement plus importants que dans le cas où ce même service est réalisé par le privé, ce dernier pouvant bénéficier d’effet d’économies d’échelle dès lors que cette activité représente sa principale spécialité. Alors que Dans ce même registre le bénéfice, par le pouvoir public, de l’«effet de dimension» n’est pas toujours prouvé dans le cas de la gestion directe de plusieurs services de même type regroupés.
Avec la gestion déléguée, le pouvoir public donne l’opportunité au partenaire privé d’exercer pleinement son métier et de faire appel à toute sa créativité et son inventivité pour exploiter dans les meilleures conditions le service délégué au profit des usagers, du pouvoir public et aussi à son propre profit. Cette créativité dans la gestion se manifeste par exemple dans le cas de la gestion des infrastructures sportives à l’ouverture de celles-ci au monde de la culture et de l’évènementiel , mais aussi le développement de nouvelles formes de marketing liées à l’image comme le « naming » et la commercialisation de produits dérivés comme des miniatures de l’infrastructure frappées du nom du partenaire «namer». Ce dynamisme dans la gestion et la rentabilisation de l’infrastructure est bénéfique pour le pouvoir public ; bénéfice se traduisant par les rémunérations perçues mais aussi par la pérennité assurée de son ouvrage dont les coûts d’entretien et de maintenance sont financés totalement par l’activité d’exploitation.
Un des points de vigilance du pouvoir public dans le cas de gestion déléguée est de s’assurer que la mission de service public garantissant entre autre la continuité du service et l’égalité de traitement des usagers est bien assurée, et que finalement les velléités de rentabilité à outrance ne prennent pas le dessus sur la mission de base au profit des populations.
Cette prise en compte de la mission de service public ne se traduit pas de la même manière d’un type d’infrastructure à un autre. En exemple parmi les infrastructures du pôle urbain de Diamniadio, la prise en compte de cette dimension au niveau du complexe sportif Dakar Aréna ne doit pas se traduire de la même manière pour le Marché d’Intérêt National. En effet si pour le premier la gestion de l’infrastructure doit permettre de garantir équitablement l’accès à tous les acteurs du sport, de la culture et de l’évènementiel, pour le second au-delà de ces aspects la gestion de l’infrastructure doit garantir la liberté des transactions entre producteurs, grossistes et autres clients de gros (restaurateurs, professionnels de la distribution…), l’exercice de la libre concurrence loyale, et en même temps offrir aux petits producteurs, par exemple de la zone des niayes, des espaces de distribution de leur production ; le tout faisant ainsi jouer de fait un rôle de régulateur de toutes les filières présentes sur le marché
La pérennité des infrastructures
C’est un défi dont pratiquement tout le monde a conscience. Les efforts d’investissements réalisés par le pouvoir public ne sont efficaces dans le temps que si les infrastructures réalisées sont entretenues correctement, garantissant ainsi leur pérennité. Exploitation-entretien-maintenance sont intimement liés, en effet entretenir et maintenir correctement une infrastructure concourent à son exploitation optimale, génératrice de revenus.
Il peut paraitre évident, mais rappelons que le premier acte d’entretien d’une infrastructure est de la maintenir propre à tout moment en procédant au nettoyage régulier et continu. Jeune Ingénieur des travaux chez un major européen du btp , j’étais souvent très surpris de la décision des Directeurs de travaux, de privilégier en fin de chantier les opérations de nettoiement plutôt que les travaux de petites finitions sur les lots techniques. En effet un ouvrage neuf propre entame bien sa vie (phase exploitation) et vivra d’autant plus longtemps qu’il saura garder cet état.
Assurer la pérennité des infrastructures passera aussi par une approche plus importante de l’entretien préventif en plus de l’entretien correctif qui intervient une fois que le dysfonctionnement est constaté et que l’intervention devienne nécessaire. Si mettre des programmes d’entretien préventifs peut sembler évident sur certains équipements techniques (ascenseur, centrale de traitement de l’air, climatisation, …) cela peut moins l’être pour d’autres parties de l’ouvrage non moins importantes comme les toitures. En effet intervenir annuellement sur les toitures des bâtiments afin d’inspecter le complexe d’étanchéité, repeindre éventuellement les solins, dégager les noues, replacer ou remplacer les crapaudines et nettoyer la mousse, facilite l’écoulement et l’évacuation des eaux pluviales évitant ainsi des sinistres aux conséquences nettement plus onéreuses. Dans le domaine de la sécurité incendie, vérifier périodiquement les moyens de lutte contre l’incendie (RIA, Sprinkler, Extincteur…) permet de s’assurer que ces dispositifs fonctionneront bien au moment où il en sera besoin et concoure ainsi à garantir l’absolue sécurité nécessaire dans nos infrastructures publiques.
Au-delà des travaux d’entretien (préventif et correctif), la réalisation des programmes de travaux de gros entretien et renouvellement (GER) qui «reliftent» l’ouvrage, constitue un point fondamental aidant à pérenniser les infrastructures. Ce compte GER doit être provisionné annuellement par l’activité d’exploitation de sorte à pouvoir mobiliser en temps utile cet argent pour la réalisation de ces travaux évitant ainsi d’attendre leur prise en charge par le budget du pouvoir public.
Enfin , pour le pouvoir public gestionnaire (direct ou indirect) de patrimoine il paraît nécessaire, pour la bonne maitrise de son parc gage de sa pérennisation, de se doter d’outil de planification comme un plan stratégique patrimonial (PSP) qui englobe son plan de développement patrimonial, sa politique d’entretien et de maintenance et son plan stratégique énergétique (PSE) qui constitue un enjeu important à l’ère de la rationalisation et de l’optimisation des consommations d’énergie.
Le numérique dans l’exploitation des infrastructures et les défis de demain
Le numérique est déjà très présent dans le domaine de l’exploitation des infrastructures, en effet beaucoup de gestionnaire de patrimoine ont déjà utilisé peu ou prou des logiciels ou progiciels de type GMAO (Gestion de la Maintenance Assistée par Ordinateur). Ces outils informatiques sont très pratiques dans l’activité d’exploitation des infrastructures permettant de planifier des interventions préventives et correctives , d’inventorier le matériel et les stocks et d’extraire à tout moment un certain nombre d’informations utiles (ex : le niveau des dépenses en entretien , le niveau des consommations d’énergie globales ou partielles…). Cette présence du numérique dans l’exploitation est en effet renforcée par l’arrivée du BIM (Building Information Modeling) ou maquette numérique qui vient s’intégrer dans la vie de l’infrastructure. Ce processus collaboratif entre tous les acteurs en phase de conception et de construction associe des informations géométriques (3D) à des données sur chaque élément (ouvrages, équipements, installations…) de l’infrastructure. Et c’est la phase exploitation- phase la plus longue dans la vie de l’infrastructure- qui tire bénéfice de ces métadonnées disponibles. La maquette numérique devient un outil de gestion et d’exploitation à part entière. La mise à disposition de données pertinentes dans un référentiel unique comme l’espace, les données financières et techniques permet d’accélérer le processus de communication et de décision des différents acteurs intervenant sur l’infrastructure.
Ainsi dans le cadre de nouveaux projets notamment de construction d’infrastructures d’envergure, il parait nécessaire pour le pouvoir public d’intégrer pleinement cette dimension dès la conception afin que ces nouvelles infrastructures soient au rendez-vous du tout numérique dans leur phase exploitation, vraisemblablement à l’horizon 2030.
Assane SOW
Ingénieur diplômé de l’École des mines de Douai
Titulaire d’un MBA en administration des entreprises Paris 1 Sorbonne
Expert en gestion d’infrastructures
assane.sow28@gmail.com
France
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